Enlarge Your Practice

Wilfrid Almendra, Olivier Babin, Bad Beuys Entertainment,
Olaf Breuning, Brody Condon, Stéphane Dafflon, Jochen Dehn,
Alain Della Negra et Kaori Kinoshita, Olivier Dollinger, Cyprien Gaillard, Fabien Giraud, Pierre Joseph, Kolkoz, Emmanuelle Lainé, Thomas Lélu, Anthony Patti, Julien Prévieux, Maroussia Rebecq, Lionel Scoccimaro, Raphaël Siboni, Jim Skuldt, Laurent Tixador et Abraham Poincheval, et Raphaël Zarka.

Commissariat Claire Moulène, Mathilde Villeneuve et Jean-Max Colard

07.07.07 > 15.09.07
Galerie et Cathédrale de la Friche Belle de Mai

En l’an 2000, l’émission Jackass débarquait sur les chaînes de télévision américaines, avant d’envahir quelques mois plus tard les sites et autres blogs des jeunes internautes. D’abord initié par le magazine de skateboard Big Brother, puis diffusé sur MTV avant de devenir un film, Jackass alignait cascades humiliantes et défis périlleux, sans autre but que le fun. Devenu le modèle d’une socialité adolescente fondée sur le fou rire nerveux et les entreprises casse-gueule, Jackass pouvait aussi être vue comme l’avatar adolescent et peut-être impensé des performances extrêmes de l’art contemporain, l’héritier lointain et décomplexé du Body Art de Chris Burden dans les années 70, et des élucubrations plus récentes de Paul Mac Carthy ou Mike Kelley.
Contemporaine de Jackass, mais aussi des jeux en réseau, du paintball, du tuning et autres fan-fictions qui prolifèrent sur le net, et à l’inverse très consciente d’une récente histoire de l’art, une nouvelle génération d’artistes, nés autour des années 80, ne cache plus aujourd’hui son goût pour cette culture adolescente, avec ses délires de fans, ses super-héros, ses jeux de rôle et sa guerre des étoiles. Au point de ne pas seulement se contenter d’en observer les codes, mais d’incorporer bel et bien ces univers à leurs propres langages artistiques. Avec son titre en forme de spam, l’exposition « Enlarge Your Practice » se propose de faire le tour de ces pratiques importées aujourd’hui dans le champ artistique, et qui contribuent à élargir massivement le paysage de l’art contemporain. D’où une gamme très ouverte de formes, d’emprunts et de stratégies artistiques : on pense ainsi aux customisations spectaculaires mais toujours « hand made » du tandem Dewar & Gicquel qui donne forme à des sculptures hétéroclites, comme cette raie manta en latex noir, cloutée et armée d’un nunchaku. Mais aussi au jeune Fabien Giraud lorsqu’il investit l’imaginaire carrossé d’un trio de mini motos rugissantes ou les tréfonds d’un concert « straight edge » (mouvement punk végétarien né en Californie à la fin des années 1970), sans compter les « fan films » de Raphaël Siboni conçus comme des prolongements de Starwars, ou encore les paysages vandalisés à coups de fumigènes par Cyprien Gaillard. Dans ces pratiques, dont la culture Internet a largement contribué au développement (l’outil Internet qui participe au nivellement des pratiques et à leur propagation, engendre à son tour des formes, voire une esthétique d’esthétique – on peut par exemple parler d’une « esthétique You Tube ») on retrouve une fascination pour un certain amateurisme qui, s’il semble à priori relever de l’accessoire et du loisir, recouvre en fait un niveau de codification quasi scientifique. L’exposition implique ainsi de voyager dans des univers très pointus, avec leurs rituels, leurs temples, leur jargon, leurs repères, leurs cultes, leurs tribus bien particulières. Reste que par-delà les stratégies proprement mises en oeuvre par chaque artiste dont la posture rappelle parfois celui du fan, il se manifeste dans ce paysage élargi un certain surrégime esthétique. Soit une surenchère de formes, une compilation de codes et de références, un excès d’énergies (décuplées même, dans le cas des artistes qui travaillent en collectif), et un certain engagement physique nécessairement requis par la pleine réappropriation de ces pratiques à forte dose performative. Une surenchère paradoxale quand on sait que la force motrice qui agite la plupart de ces artistes repose presque systématiquement sur une donnée fortuite : l’ennui. Le désoeuvrement du dimanche après-midi en somme. Se dessine alors une nouvelle ligne de partage sur la base d’un clivage inédit entre « fun » et « non fun » qui tend à se substituer aux critères de lectures traditionnels du beau ou du jugement éthique, voire de l’engagement politique. Un clivage, dont le développement hors du champ est à prendre au sérieux quand on sait qu’il va jusqu’à justifier l’inacceptable, dans certains jeux limites, comme celui de « la petite mort » (ou jeu du foulard) qui fit récemment des ravages dans les cours d’école ou du « Happy slaping » qui fait recette outre-manche et dont la règle consiste à agresser quelqu'un au hasard dans la rue, à le filmer – le plus souvent via son téléphone portable – pour ensuite le diffuser sur le Net. Plus grave encore, dans le cas de l’épisode Abou Ghraib incontestablement construit sur la base de références culturelles – voire cinématographiques - communes et dont l’objectif était, comme dans le cas de Jackass, la production d’images à diffuser sur Internet.

Claire Moulène, Mathilde Villeneuve et Jean-Max Colard. Paris 2007.
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Une exposition réalisée avec le soutien de la Fondation d'entreprise Ricard, Mécènes du Sud, GPA, le CNC et Clear Channel.

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IMAGES DE L'EXPOSITION

(copyright Matthieu Verdeil)