Airclubbing

Exposition personnelle d'Alexandre Perigot


02.07.04 > 18.09.04
Galerie et parvis de la Friche Belle de Mai

Lorsque Alexandre Perigot emprunte aux mondes du cinéma, du spectacle vivant, du sport,
des jeux vidéos ou des médias les dimensions de temps réel et de direct, c’est peut-être afin
de reconsidérer le temps donné à l’œuvre. C’est aussi parce que l’artiste travail en
"compagnie", (en Cie). Il fait naître ses projets dans l’échange, la discussion, le plaisir mais
aussi la nécéssité pratique d’associer les "autres" à son travail. Il a relocalisé sa pratique.
S’il a produit des objets, des images, et s’il produit encore, son activité essentielle, est
sans doute entre les projets. Il produit le spectacle et son œuvre, et l’œuvre aura lieu si besoin
est, ou n’aura pas lieu. Et si elle a lieu, elle prendra la forme littérale du spectacle. Elle la déplacera
juste un peu pour offrir une version qui en expose les conditions d’existence autant que
les aspérités. Ou plus précisément ce que l’on ne veut pas voir, ce que l’on ne veut pas montrer,
la petite cuisine de l’illusion, les raccourcis du scénario, les « à peu près » du montage.
… Le moment où l’illusion est démasquée.

Avec AIRCLUBBING, Alexandre Perigot renverse le fonctionnement même du spectacle et
son corrolaire, La Star, révélée comme une enveloppe vide et décevante. Il y questionne les
principes d’identification et d’illusion de célébrité par l’affirmation d’une inversion : la célébrité
non plus comme effet, mais comme cause !
L’artiste poursuit sa mise en faille d’une société contemporaine devenue société spectacle.
Ses dispositifs testent notre capacité à en déconstruire les systèmes illusionistes. Il démonte
les mécanismes du divertissement à tout prix en s’appropriant ses codes de jeu et de temps
réel, en situant son travail non pas du point de vue de la scène, mais plutôt des coulisses du
spectacle, l’envers du décor, à l’endroit.
Le soir du vernissage, Sextant et plus et Alexandre Perigot présente la finale départementale des
championnats de Air Guitar au cabaret Aléatoire. Ce nouveau concept déboule en France
depuis 2003 et propose aux Jimi Hendrix de la guitare invisible de devenir Rock-Star le temps
d’une soirée. Façon de rejouer sur un mode festif et musical l’illusion de célébrité.

L’exposition AIRCLUBBING met en scène quatre pièces installées sur deux sites de la
Friche, la Galerie et le parvis de la “cartonnerie”.

"Café des sports" se présente comme une sculpture circulaire, directement inspirée des
formes et des proportions d’un comptoir de bar dans lequel le spectateur est invité à
pénétrer. La sculpture réalisée pour cette exposition fait partie d’une série de “Café des
sports” à venir dans différents lieux comme autant de citations à l’universel “bar des supporters”.
Par le jeu du déplacement et du décalé dans le contexte de l’art, Alexandre
Perigot inscrit son projet dans la tradition du café, siège de réunions d’intellectuels et d’artistes.
Dès lors, entrer dans “Café des sports” c’est, selon l’idée de Clément Rosset, faire
l’expérience de l’îvresse comme médium possible pour appréhender le réel. Car pour le
philosophe, si le réel est insignifiant, décevant, il doit être accepter comme tel. “Café des
sports” est pour l’artiste une façon de mettre à l’épreuve la grandiloquence d’un réel saisit
par le langage et la représentation, à travers une expérience esthétique décevante.
“Café des sports” est un ovni dans le champ de l’art contemporain.

L’installation Radio Popeye met en scène les ritournelles fugaces et joliment flagadas
de Xavier Boussiron ré-interprétant Roy Orbinson et accompagnent une photographie
imprimée sur une énorme bâche posée au sol, comme un billboard démonté de son promontoire.
A première vue, il s’agit d’un village, mais d’un village comme on en n’aurait jamais vu, en
tous les cas pas par ici. Des maisons de bois plus ou moins solides, un pont, des escaliers
qui descendent vers la mer. Le tout planté au milieu d’un désert de cailloux et de
végétation aride, sous un ciel bleu vif.
S’agit-il d’un village entier déserté par sa population? Rien n’est très sûr.
Ce sont en fait les reliques d’un décor construit à Malte pour le tournage du film Popeye
de Robert Altman, laissé en plan, et en l’état, depuis plus de vingt ans. Alexandre Perigot
exhume ici cet improbable paysage comme pour dresser un bilan tragique de la situation:
tout ça pour ça...
L’équipe de cinéma américaine est repartie depuis longtemps, abandonnant à son triste
sort cet éden ensoleillé et bon marché. L’artiste réussit à faire planer le doute sur l’existence
d’un tel village comme vrai village, et redonne vie à ce qui en reste en le montrant
tel quel, sorti de son silence par ces mélopées de dancing infatigables.

La vidéo Blondasses, réalisée en 2002 avec Jean-Yves Jouannais, montre un véritable
work in progress en plein champ, doublé d’une voix de synthèse à l’accent américain,
mâchonnant le texte de Jean-Yves Jouannais sur l’inadéquation du global au local. Blond
/ asses, expérience de groupe estivale dans le sud, pendant laquelle artistes et agriculteurs
collaborèrent activement à la construction de trois monumentales perruques, appartenant
respectivement à Claudia Schiffer, Sharon Stone et Pamela Anderson.
Ou comment transformer ces archétypes de la beauté à l’américaine en de gigantesques
beautés des champs habitables, blondes comme du blé transgénique, canons de beauté
(dé)naturés. Et par là interroger la possibilité d’un déplacement du champ de l’art dans
les champs, précisément, et réfléchir sur un «devenir-paysan de l’artiste», un devenir
minoritaire de l’art, selon la belle formule de Jean-Yves Jouannais.

Après "Maison témoin, la maison de Dalida" présentée au Centre Georges Pompidou
dans le cadre de l’exposition “Au delà du spectacle”, Alexandre Perigot propose à La
Friche la Belle de Mai Marseille, "Maison témoin, la maison d’Elvis".
Sur l’esplanade encadrée par la “Cartonnerie”, salle de spectacle “multi-fonctions” en bout
—ou en proue !— du projet de la Friche et face aux voies de chemins de fer qui réceptionnent
un TGV par heure venant de la Capitale, se dresse Graceland, un monstre
d’acier de 150m2 au sol sur 9m de haut. L’œuvre est démesurée, à l’image de sa référence,
la maison d’Elvis, Memphis, Tennessee (le site privé le plus visité au monde). Elle
est parfaitement intégrée dans l’environnement friche, des batiments industriels en chantier
depuis 10 ans. L’ossature fait partie du décor, pourrait-on dire. C’est un cirque d’un
nouveau genre ? C’est peut-être la préfiguration d’un prochain batiment ou bien un projet
novateur d’un architecte innovant, une tentative à l’abandon, un décor pour quelques
projets cinématographiques ou une maison virtuelle écrin des jeux vidéo d’une super-production
internationale. Grace Land s’impose déjà comme une attraction dans le contexte
politico culturel de la Friche et de la Ville.
Pourtant, l’installation est juste posée là, dans le paysage urbain, sans aucun autre rôle
que ce qu’elle donne à voir : la maison d’Elvis réalisée à l’échelle 1, vidée de son contenu
où n’apparaissent que les lignes de forces. L’architecture de métal reprend à son
compte l’idée de l’hypothétique représentation par le jeu de la reconstitution mentale du
modèle. On peut pourtant la visiter, en faire le tour, la traverser. Graceland est un leurre
dans le paysage culturel en tant que parc d’attraction. Graceland est un avertisseur, une
alerte face aux tentatives d’instrumentalisation de la culture par une société des loisirs
omniprésente.

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IMAGES DE L'EXPOSITION